cyclone Centre météorologique du Chaudron

30ème anniversaire du Centre des Cyclones Tropicaux de La Réunion

30/06/2023

Le 1er juillet 2023, cela fait 30 ans que Météo France à La Réunion est devenu un Centre Météorologique Régional Spécialisé Cyclones pour le bassin cyclonique du Sud-Ouest de l'Océan Indien. Nous vous proposons de découvrir ce qu'est un CMRS, comment s'est construit le CMRS Cyclones de La Réunion, comment la prévision cyclonique a évolué au cours des 30 dernières années et quels ont été les cyclones remarquables sur le Sud-Ouest de l'Océan Indien durant cette période.

La vidéo des 30 ans !

8 minutes pour passer en revue ces 30 dernières années !

Qu'est ce qu'un CMRS ?

Chaque année, environ 80 à 85 tempêtes tropicales ou cyclones tropicaux se forment sur les eaux tropicales du globe. Ces phénomènes météorologiques figurent parmi les phénomènes naturels les plus dévastateurs, représentant, tous phénomènes confondus (y compris non météorologiques, tels que les tremblements de terre ou le volcanisme), environ 20% de la mortalité et des dégâts causés chaque année à travers le monde. Leur potentiel de destruction, que ce soit du fait des vents violents qu’ils génèrent, des pluies diluviennes qu’ils occasionnent, ou des phénomènes plus ou moins dangereux et dévastateurs qui les accompagnent, tels que marées de tempête, inondations, tornades, est fonction de leur intensité et de leur structure et est exacerbé par la durée de leur impact, l’extension et la vulnérabilité des zones touchées.
Chaque année, les cyclones tropicaux font des milliers de victimes et sont la cause de dommages considérables. Pouvant affecter sévèrement la vie socio-économique des zones impactées, voire même, dans les cas les plus extrêmes, pouvant provoquer un recul de plusieurs années en arrière dans le niveau de développement socio-économique d’une région ou d’un pays, les météores les plus marquants ont ainsi imprimé leur nom dans la mémoire collective: les noms de Katrina (2005) ou de Nargis (2008) sont désormais indéfectiblement attachés au traumatisme laissé par leur passage dans la zone de la Nouvelle-Orléans ou en Birmanie.
Bien que moins médiatisé, le Sud-Ouest de l’océan Indien est lui aussi assujetti au risque cyclonique (avec 9 à 10 tempêtes tropicales et cyclones y évoluant en moyenne chaque année) et a également eu à subir quelques cyclones particulièrement violents et destructeurs, comme, dans l’histoire récente, les cyclones Eline (en 2000) ou Gafilo (en 2004), ou encore plus récemment Idai (2019), Batsirai (2022), Freddy (2023), qui ont fait plusieurs centaines de morts au Mozambique, à Madagascar, ou au Malawi, en particulier.

Des CMRS/Cyclones tropicaux

L’importance majeure du phénomène cyclone (et pas seulement en comparaison des autres risques météorologiques, comme on l’a explicité précédemment), a justifié qu’un traitement spécifique lui soit appliqué et que des moyens dédiés soient mis en œuvre pour gérer au mieux ce risque, dans le but de minimiser autant que faire se peut les conséquences néfastes de ces météores, au profit des populations potentiellement sous la menace de ces phénomènes.
Sous l’égide de l’OMM (Organisation Météorologique Mondiale), et plus particulièrement de son Programme des Cyclones Tropicaux (PCT), un système mondial de surveillance et de prévision des systèmes dépressionnaires tropicaux, coordonné à l’échelon global et régional, a ainsi progressivement été mis en place. Si les Services Météorologiques Nationaux restent des maillons essentiels dans la chaîne de prévention et d’alerte des populations par rapport au risque cyclonique, étant en particulier directement en liaison avec les organismes de protection civile et de gestion des catastrophes naturelles, il a été ressenti le besoin de disposer de centres d’expertise spécialisés chargés du suivi opérationnel et de la prévision de "premier niveau" des systèmes dépressionnaires tropicaux.
Utilisant les outils technologiques les plus modernes, chacun de ces centres désignés, et reconnu comme Centre Météorologique Régional Spécialisé (acronyme CMRS)/Cyclones, a en charge une zone de responsabilité sur laquelle il exerce la surveillance opérationnelle de tous les systèmes dépressionnaires tropicaux amenés à se former ou à évoluer, de leur naissance jusqu’à leur mort. Ils s’efforcent d’anticiper leur genèse et fournissent également, à intervalle régulier, des prévisions de trajectoires, d’intensité et d’évolution de la structure des phénomènes formés, prioritairement à destination des Services Météorologiques Nationaux de la zone concernée, mais qui servent également de référence pour les médias internationaux et pour un certain nombre d’usagers, maritimes notamment.
Au nombre de six, ces CMRS/Cyclones tropicaux sont les suivants: le Centre des Ouragans de Miami (National Hurricane Center – USA), qui a la particularité de gérer deux bassins: l’Atlantique Nord et le Pacifique Nord-Est; le Tokyo Typhoon Centre (Agence Météorologique japonaise), pour le Pacifique Nord-Ouest; le CMRS/Cyclones tropicaux de New Delhi (India Meteorological Department), pour l’océan Indien Nord (Golfe du Bengale et Mer d’Arabie); le CMRS/Centre des Cyclones Tropicaux de La Réunion (Météo-France), pour le Sud-Ouest de l’océan Indien (incluant le Canal de Mozambique); le CMRS/Centre des Cyclones Tropicaux de Nadi (Fiji Meteorological Service), pour le Pacifique Sud-Ouest; le Centre des Ouragans de Honolulu (National Weather Service – USA), pour le Pacifique central Nord.
Complétant la couverture globale des océans tropicaux sujets aux perturbations tropicales, d’autres centres, dénommés Centres d’Avertissements de Cyclones Tropicaux (TCWC – Tropical Cyclone Warning Centres, en anglais), assurent le suivi et la prévision des cyclones dans des zones de responsabilité géographiquement plus restreintes. Il s’agit des TCWCs australiens de Brisbane et Perth (Australian Bureau of Meteorology), de Port Moresby (National Weather Service – Papouasie Nouvelle-Guinée), de Wellington (Meteorological Service – Nouvelle Zélande) et de Jakarta (Agence de Météorologie et de Géophysique indonésienne).

Les différentes zones de responsabilité des divers centres (CMRS et TCWC).

Sous l’égide du Programme des Cyclones Tropicaux, des réunions de coordination technique se tiennent à intervalle régulier entre représentants des différents CMRSs et TCWCs, pour assurer la cohérence et la coordination globale du système.
L’organisation ainsi mise en place a un double but:
       - éviter que chaque service météorologique traite les cyclones à sa manière, de façon à diffuser un message clair, uniforme et cohérent;
       - faire bénéficier tous les États, et notamment les moins avancés, d’une information expertisée de référence fournissant les meilleures informations et prévisions possibles.
       Ainsi, les centres de Miami, New Delhi, Tokyo, Nadi, Honolulu et Saint-Denis de la Réunion, diffusent des bulletins appropriés dès qu’une perturbation cyclonique apparaît sur leur zone de compétence. Outre cette fonction opérationnelle, chaque centre doit également veiller à mettre en place des actions de formation et de recherche au profit de tous.

LE CMRS/CENTRE des CYCLONES TROPICAUX de LA RÉUNION

La zone de responsabilité officielle du CMRS couvre les eaux tropicales et subtropicales du Sud-Ouest de l’océan Indien, depuis les côtes orientales de l’Afrique jusqu’au méridien 90°Est, entre l'équateur et 40° de latitude Sud, incluant le Canal du Mozambique.
La principale mission du CMRS de La Réunion est de fournir aux 15 Services Météorologiques Nationaux des états membres du Comité des Cyclones Tropicaux du Sud-Ouest de l’océan Indien (relevant de la Région Afrique de l’Organisation Mondiale de la Météorologie), à savoir Afrique du Sud, Botswana, Comores, Eswatini, France, Kenya, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, Seychelles, Tanzanie, Zimbabwe, toute l’information possible (analyses, prévisions, discussions techniques,...) sur les différents systèmes dépressionnaires tropicaux (ou subtropicaux) amenés à évoluer dans sa zone de responsabilité. Le CMRS de La Réunion exerce cette responsabilité en conformité avec le "Plan d’Opérations concernant les cyclones tropicaux dans le Sud-Ouest de l’océan Indien", qui régit notamment les procédures en vigueur en matière de gestion du suivi cyclonique sur le bassin.
       
Cependant, au-delà de cette fonction opérationnelle essentielle, le CMRS a également vocation à être le pôle régional pour toutes les questions touchant aux cyclones tropicaux dans des domaines tels que la formation, la documentation, la recherche/développement.
Le CMRS dispose, ainsi, depuis 1998, d’une Cellule de Recherche sur les Cyclones (CRC), dont un des principaux objectifs est de mettre au point de nouveaux modèles de prévision numérique adaptés aux phénomènes cycloniques. En 2006, la CRC a intégré le LACy (Laboratoire de l’Atmosphère et des Cyclones), Unité Mixte de Recherche réunissant CNRS/Université de La Réunion/Météo-France.

Le CMRS joue, par ailleurs, un rôle clef dans la région, en matière de formation. Depuis 1995, de nombreux stages, ateliers, cours ou séminaires, à l’intention des météorologistes ou chercheurs des pays de la zone, ont été organisés à La Réunion, que ce soit dans le domaine des cyclones tropicaux proprement dit, de la prévision (notamment saisonnière), de la climatologie, ou dans celui de la maintenance d’équipements météorologiques.

Petit historique

C’est lors de sa 7ème session, tenue à l’île Maurice en 1985, que le Comité des Cyclones Tropicaux (CCT) du Sud-Ouest de l’océan Indien a, pour la première fois, émis officiellement l’opinion que la création d’un Centre d’Avis de Cyclones dans la Région permettrait une meilleure efficacité dans les activités de prévision et d’informations menées par les Services météorologiques de la zone.
L’idée a ensuite fait son chemin et un processus de plusieurs années s’est alors engagé avant d’aboutir, in fine, à la désignation formelle du Centre Météo-France de La Réunion en tant que Centre Météorologique Régional Spécialisé/Cyclones Tropicaux pour le Sud-Ouest de l’océan Indien, avec effet au 1er juillet 1993. Les principaux jalons de ce processus furent les suivants:

    1) en 1986: mission dans la région d’un expert australien, consultant pour le Secrétariat de l’OMM, chargé d’aider à l’élaboration d’une proposition de projet pour la création d’un centre régional;

    2) en 1987: la 8ème session du Comité des Cyclones Tropicaux (CCT) tenue à Antananarivo (Madagascar) recommande la création d’un Centre Météorologique Régional Spécialisé (CMRS) à Saint-Denis de La Réunion, assisté de deux centres sous-régionaux à Maurice (Vacoas) et à Madagascar (Antananarivo);

    3) en 1988: un comité restreint d’experts de la zone se réunit fin août à Maurice et confirme la recommandation émise par le CCT de l’année précédente et préconise les responsabilités qui devraient incomber au CMRS, ainsi qu’aux deux centres sous-régionaux. La France s’engage formellement à remplir et mettre en œuvre les 25 obligations nécessaires à satisfaire pour devenir un CMRS. La Commission de l’océan Indien (COI) se déclare favorable à un projet intégré de coopération régionale en matière de météorologie, s’articulant autour d’un CMRS/Cyclones tropicaux et souhaite qu’une mission d’évaluation des besoins dans la zone soit entreprise, en termes de moyens d’observations, de télécommunications, de réseau informatique, de formation. Cette mission itinérante a lieu en septembre-octobre;

    4) en 1989: lors de sa 9ème session tenue à Harare (Zimbabwe), le Comité des Cyclones Tropicaux décide de constituer un Centre Régional d’Avis de Cyclones Tropicaux (CRACT) basé à La Réunion, et deux centres sous-régionaux d’avis de cyclones tropicaux basés à Madagascar et à Maurice. Cette décision n’est toutefois pas reconnue par l’AR I (instance régionale de l’OMM pour l’Afrique), faute d’avoir été entérinée par la Commission des Systèmes de Base de l’OMM (CSB) ;

    5) en décembre 1990: lors de sa 10ème session tenue à Bamako, l’Association régionale I (AR I – instance régionale de l’OMM pour l’Afrique) propose officiellement que Saint-Denis de La Réunion soit désigné pour recevoir le futur CMRS, sous réserve que le Centre de La Réunion fasse préalablement la démonstration de ses capacités devant la CSB;

    6) en octobre 1991: la 10ème session du Comité des Cyclones Tropicaux (Mahé – Seychelles) prend acte de la procédure à respecter en matière de désignation d’un CMRS et demande qu’un groupe d’experts se rende à La Réunion, avant la prochaine réunion de la CSB, pour évaluer les capacités du Service Météorologique de La Réunion à remplir ses engagements comme CMRS.

    7) en juillet 1992: le "groupe d’experts sur le développement du Centre régional d’avis de cyclones tropicaux de La Réunion" préalablement constitué, se réunit à Saint-Denis de La Réunion. Dans son rapport circonstancié, il juge que le Centre de La Réunion est apte à être désigné comme CMRS, car ayant satisfait les 25 obligations requises pour exercer cette responsabilité.

    8) en novembre 1992: la 10ème session de la CSB (Commission des Systèmes de Base de l’OMM) à Genève, valide les conclusions de ce rapport et statue qu’au terme de sa période de probation, le Centre de La Réunion a démontré ses capacités à assumer le rôle et les fonctions de Centre Météorologique Régional Spécialisé/Cyclones Tropicaux, et recommande, en conséquence, au Conseil Exécutif de l’OMM de désigner officiellement le Centre régional d’avis de cyclones tropicaux de La Réunion, comme CMRS spécialisé dans les cyclones tropicaux pour le Sud-Ouest de l’océan Indien;
       
    9) En juin 1993: lors de sa 45ème session, le Conseil Exécutif de l’Organisation Météorologique Mondiale entérine cette proposition et désigne formellement le Centre des Cyclones Tropicaux de La Réunion en tant que de Centre Météorologique Régional Spécialisé/Cyclones Tropicaux pour le Sud-Ouest de l’océan Indien, avec prise d’effet au 1er juillet.

1990-2023 : de la "préhistoire" à l’ère moderne du suivi et de la prévision des cyclones

La surveillance cyclonique est assurée essentiellement au moyen des données d’observations satellitaires, complétées par les données radars (de La Réunion ou de Maurice tout particulièrement) lorsque les perturbations évoluent dans la zone d'acquisition de ces derniers. Les prévisions, de trajectoire et d'intensité en particulier, reposent, quant à elles, en grande partie sur les données produites par les modèles de prévision numérique du temps.
La désignation du Centre de La Réunion en tant que CMRS/Cyclones, a constitué un accélérateur majeur pour développer les moyens de Météo-France dans l’océan Indien en matière d’observation et de prévision numérique et faire entrer le Service de prévision de La Réunion dans l’ère moderne. Afin d’honorer ses engagements et, plus particulièrement, celui de respecter le cahier des charges qui lui avait été soumis et qu’elle avait accepté pour que la station du Chaudron acquière le statut de CMRS/Cyclones, la Direction Générale de Météo-France a, en effet, dégagé, dans des délais très courts, des moyens à la fois humains mais surtout techniques très importants, qui ont fait que le Centre météorologique de La Réunion a changé d’époque. En l’espace d’un an ou deux, on est tout bonnement passé de la "préhistoire" à l’ère moderne du numérique.
La première (r)évolution, et probablement la plus spectaculaire, fut l’acquisition en 1991 d’une station HRPT (acronyme anglais pour High-Resolution Picture Transmission) pour l’acquisition et la visualisation sur des stations de travail informatisées de l’imagerie satellitaire issue des satellites défilants américains de la série TIROS. Finis les tirages papier noir et blanc issus d’un simple récepteur APT (Automatic Picture Transmission) WEFAX, fournissant des images grossièrement géo-référencées, à partir desquelles les analystes cyclone devaient s’échiner à localiser manuellement le centre du système dépressionnaire (en superposant à l’image une grille Latitudes-Longitudes imprimée sur feuille plastique transparente…), avant d’estimer tout aussi manuellement son intensité.

A gauche, image satellite papier noir et blanc (APT/WEFAX) du satellite Noaa 11 acquise le 28 janvier 1989 montrant le cyclone tropical FIRINGA. A droite, 15 ans plus tard, les conditions de travail ont radicalement changé pour le prévisionniste cyclone !

Place désormais à des images numérisées, sur lesquelles des traitements spécifiques pouvaient être appliqués (telles que compositions colorées mélangeant canaux visible et infrarouge, ou imagerie infrarouge à laquelle pouvait être appliquée une palette de couleurs seuillée par gammes de températures, aux fins d’être analysée par la Technique de Dvorak en infrarouge renforcé – technique d’analyse d’intensité des cyclones tropicaux développée par l’américain Vernon Dvorak à la fin des années 70 et dont la dernière version de 1984 est actuellement toujours universellement utilisée pour estimer l’intensité des phénomènes cycloniques) et des outils dédiés superposés (tels que spirale logarithmique, arpenteur, etc…). Pour les prévisionnistes cyclone en poste à l’époque, c’était comme si l’on venait en un éclair de passer de l’âge de pierre à l’ère du numérique...
Une autre année clé fut 1998, qui a correspondu au début de "l’ère géostationnaire" au CMRS/Centre des cyclones tropicaux de La Réunion. Auparavant les seules images satellites disponibles en routine sur l’océan Indien étaient des images issues de satellites défilants (i.e. des satellites à orbite polaire basse, passant deux fois par jour au-dessus de la même zone géographique). De sorte que jusqu’en mai 1998, les prévisionnistes ne disposaient, au mieux, que de deux à quatre images par jour sur les phénomènes cycloniques évoluant sur la zone dont ils avaient la charge. Mais suite au déplacement au-dessus de l’océan Indien du satellite européen Météosat 5 (initialement dans le cadre de la campagne de mesures internationale INDOEX), l’acquisition opérationnelle pérenne d’imagerie issue d’un satellite géostationnaire couvrant la totalité du bassin a enfin pu être assurée (les satellites géostationnaires, positionnés au-dessus de l’équateur à quelque 36 000 km d’altitude, sont fixes par rapport à la Terre et fournissent ainsi des images fréquentes – toutes les 1/2 h initialement, mais désormais tous les 1/4 h – sur un domaine large). 1998 a ainsi marqué une étape décisive pour mettre le Sud-Ouest de l’océan Indien au niveau des autres bassins cycloniques en termes d’observation satellitaire. L’augmentation faramineuse de la fréquence d’acquisition des images satellite et l’explosion du volume d’imagerie disponible qui en est résultée, ont entraîné un vrai saut observationnel et une révolution dans le suivi des perturbations cycloniques du bassin.
En 1998, le CMRS de La Réunion a également connu sa seconde révolution numérique, après la première de 1991, à savoir la "révolution internet", qui a cette fois fait passer le Centre à l’âge du cyber. L’arrivée du web au CMRS, a non seulement permis au CMRS de grandement faciliter et améliorer sa communication dans les années qui ont suivi, via la diffusion de ses produits et prévisions sur ses sites internet, mais elle a surtout immédiatement permis aux prévisionnistes d’accéder à toute une nouvelle gamme de produits satellitaires inédits auparavant, la plupart issus de satellites initialement à vocation de recherche, mais qui ont rapidement débouché sur une utilisation opérationnelle (malgré le fait que ces produits ne soient généralement disponibles qu’en temps semi-différé), car démontrant une faculté inégalée pour investiguer la structure interne des systèmes dépressionnaires tropicaux. L’utilisation de l’imagerie micro-onde issue de radiomètres opérant dans des gammes de fréquences particulières, a notamment bouleversé la vision que les analystes cyclone avaient du cycle de vie des phénomènes cycloniques, en particulier de leurs changements de structure et d’intensité, leur permettant d’affiner leurs analyses ou d’accéder en routine à des processus jusque-là virtuellement inobservables, tels que, par exemple, les cycles de remplacement du mur de l’œil des cyclones matures.
L’intégration dans le processus d’analyse de ces données d’observation annexes, principalement l’imagerie micro-onde et les données de vents diffusiométriques, a entraîné un nouveau saut qualitatif tout à fait significatif, que ce soit pour la localisation des centres dépressionnaires, désormais plus précise, ou pour la fiabilité de l’estimation de données structurelles, telles que le rayon des vents maximaux ou les extensions de vents par quadrants, ou, bien sûr, pour affiner l’estimation de l’intensité des phénomènes, même si cette dernière repose toujours principalement sur la Technique de Dvorak.
Parallèlement à l’amélioration de la qualité des analyses cycloniques, les prévisions n’ont pas été en reste. À mesure que les analyses cycloniques bénéficiaient de l’explosion du volume de données d’observations disponibles, de la modernisation des outils de visualisation et du raffinement des techniques d’analyse, les prévisions bénéficiaient également de l’accroissement du volume de données d’observations satellitaires assimilées par les modèles numériques et des évolutions technologiques successives, via la montée en puissance des supercalculateurs, notamment l’accroissement continu de la résolution des modèles numériques.
Pour mieux prendre la mesure du chemin parcouru en matière de capacité de modélisation numérique, quelques chiffres suffisent. En septembre 1991, le Centre Européen de Prévisions Météorologiques doublait la résolution horizontale de son modèle déterministe, qui passait à ~ 94 km,  et augmentait de 19 à 31 le nombre de niveaux verticaux. En 2020, le nombre de niveaux verticaux passait à 137 et la résolution horizontale était abaissée à environ 9 km. Le nombre d’observations quotidiennes assimilées était de 40 millions, alors qu’il n’était que de 40 000 en 1991, soit un accroissement d’un facteur mille… En 2023, 800 millions d’observations sont reçues quotidiennement, dont 60 millions sont assimilées après contrôle de qualité.
Dans ce domaine de la prévision numérique, Météo-France a, là aussi, beaucoup investi pour permettre au CMRS de La Réunion de se hisser au niveau des standards des centres de prévision disposant des meilleures simulations numériques disponibles en matière de prévision cyclonique. En 2001, une version à résolution uniforme du modèle français ARPEGE, particulièrement adaptée aux régions tropicales océaniques (et dénommée ARPEGE Tropique) est implémentée. Son analyse 4D-var est ajustée à la prévision cyclonique pour l’assimilation des données satellitaires et comprend également un forçage synthétique de cyclone.
Toutes les évolutions en matière de prévision numérique dédiée à la prévision cyclonique sont scientifiquement suivies, et pour partie pilotées, par la Cellule de Recherche sur les Cyclones (CRC), qui a été créée en 1998 et implantée dans les locaux du Centre de La Réunion, pour accompagner et soutenir au mieux les activités opérationnelles du CMRS de La Réunion.

La mise en place de modèles à méso-échelle dans le Sud-Ouest de l’océan Indien

Après avoir dans un premier temps essentiellement travaillé sur les modèles globaux, à partir de 2004 la CRC a orienté ses activités davantage vers la méso-échelle, avec un modèle à aire limitée (couvrant l’essentiel de la zone de responsabilité du CMRS) à vocation opérationnelle, dénommé ALADIN-Réunion, implémenté en 2006 et de résolution horizontale 10 km (puis 8 km en 2010, passant également de 60 à 70 niveaux verticaux à cette occasion), déclinaison orientée cyclones du modèle européen ALADIN et, en mode recherche, vers la haute résolution, avec un modèle non-hydrostatique à 1 km (MESO-NH). L’optimisation des algorithmes d’assimilation et l’impact des observations faisaient partie des recherches prioritairement menées avec ALADIN-Réunion. Le modèle Meso-NH, servant lui à réaliser des recherches sur la dynamique interne des cyclones tropicaux et pour étudier des aspects connexes, tels que leurs interactions avec le relief notamment.
Début 2006, la CRC a rejoint une Unité Mixte de Recherche réunissant CNRS/Université de La Réunion/Météo-France au sein du LACy (Laboratoire de l’Atmosphère et des Cyclones). Cette intégration de la CRC dans le LACy, a permis de renforcer les collaborations avec les chercheurs de la Région et au niveau national.
Cette période du milieu des années 2000 a marqué également le début de la prise en compte croissante des prévisions ensemblistes, à commencer par celles du modèle du Centre européen (EPS), puis celles issues du modèle français ARPEGE (PEARP), pour en particulier essayer d’anticiper au mieux les cyclogenèses (formations des phénomènes cycloniques), ou pour évaluer l’incertitude des prévisions cycloniques (et donc le degré de confiance que l’on peut leur accorder).
En la matière, une étape importante a été franchie fin 2011, avec le développement, puis l’implémentation opérationnelle, d’un produit innovant, à savoir un cône d’incertitude probabiliste autour de la prévision de trajectoire officielle du CMRS, basé sur la dispersion de la prévision d’ensemble de l’EPS. Le CMRS de La Réunion est alors le premier CMRS à proposer un tel produit dynamique, qui reflète l’incertitude réelle de chaque prévision de trajectoire individuelle.

Réduction significative de l'incertitude climatologique (à gauche) avec l'utilisation de la dispersion de la prévision d'ensemble du centre européen (à droite). Cyclone tropical Giovanna en février 2012.

Une version améliorée de ce cône d’incertitude dynamique a été mise en place en 2021, intégrant une approche désormais hybride statistico-dynamique, s’appuyant sur une méthodologie issue du projet SpiCy. Et cette approche probabiliste permettant de donner une idée sur le degré d’incertitude attaché à la prévision officielle du CMRS, a également été étendue à ses prévisions d’intensité.

Après 10 ans de bons et loyaux services, le modèle à aire limitée spécifiquement dédié à la prévision cyclonique ALADIN-Réunion est arrêté en 2016, sa résolution horizontale de 8 km n’apportant plus réellement de plus-value par rapport aux modèles globaux, dont la résolution horizontale est désormais très proche. Il cède la place à un nouveau modèle à aire limitée, à très haute résolution (2,5 km horizontalement et 90 niveaux verticaux), dénommé AROME-Indien. Mis en service opérationnel fin 2015, AROME-Indien est une version “tropicale” du modèle AROME utilisé depuis 2009 en France continentale. Couplé au modèle déterministe IFS du Centre européen, il intègre une résolution explicite de la convection, un facteur évidemment déterminant pour mieux représenter et prévoir les cyclones. Alors que le modèle est également implémenté sur quatre autres domaines couvrant les autres territoires ultramarins tropicaux français, le domaine couvert par AROME-Indien est de loin le plus vaste (puisque couvrant la majeure partie de la zone de responsabilité du CMRS de La Réunion et l’essentiel des terres habitées du bassin), bénéficiant ainsi de la plus grosse part du temps de calcul alloué sur le supercalculateur de Météo-France basé à Toulouse, un effort spécifique important octroyé en raison du support apporté par l’établissement aux responsabilités internationales du CMRS/Cyclones du Centre de La Réunion.
En 2016, une version améliorée du modèle inclut un couplage 1D avec l’océan (AROME-Indien devenant ainsi le premier modèle atmosphérique de Météo-France couplé avec l’océan), ce qui permet d’améliorer très significativement les performances du modèle en matière de prévision de changements d’intensité (et de structure) des cyclones, ainsi que de prévisions des pluies induites.
En 2022, la résolution d’AROME-Indien opérationnel passe à 1,3 km, tandis qu’une prévision ensembliste associée est mise en place (avec 16 membres et une résolution horizontale de 2,5 km), étant prévue acquérir un statut pleinement opérationnel en 2023.
La vocation première du modèle AROME-Indien est la prévision à courte échéance, axée sur la prévision des impacts. Grâce à sa très haute résolution, AROME-Indien est, en effet, mieux à même de représenter les effets locaux induits par exemple par le relief, un élément déterminant pour espérer mieux prévoir les impacts, en particulier pluvieux, sur une île montagneuse telle que La Réunion.

Domaine géographique couvert par le modèle à aire limitée AROME-Indien (à gauche), avec représentation du relief associé. Cycle de remplacement du mur de l’œil simulé par AROME-Indien dans le cas du cyclone Fantala en avril 2016 (à droite)

Essayant de tirer le meilleur parti de tous les progrès réalisés par la prévision numérique, le CMRS de La Réunion a progressivement étendu le spectre de ses prévisions. S’agissant des prévisions de trajectoires et d’intensités, leurs échéances temporelles ont ainsi progressivement été étendues. L’échéance maximale de prévision est ainsi passée de 48h à 72h en 2003, puis a été prolongée jusqu’à 120h début 2010. Sachant que ces prévisions à cinq jours sont désormais de qualité équivalente à celles qui étaient délivrées il y a 20 ans (au début des années 2000) pour les échéances de 48h seulement, un constat qui résume à lui seul l’étendue des progrès accomplis en finalement peu de temps.

Evolution temporelle (depuis le début des années 1990) des erreurs de prévisions de trajectoires (en km). L’amélioration impressionnante de la qualité des prévisions y apparaît clairement.

L’élargissement du spectre des possibles s’est également diffusé à d’autres types de prévisions, subsidiaires, mais tout sauf accessoires. Comme les prévisions saisonnières d’activité cyclonique, ou les prévisions de cyclogenèse (anticipation de la formation des phénomènes cycloniques, domaine dans lequel les progrès réalisés par les modèles numériques ont aussi été spectaculaires), également étendues jusqu’à cette échéance de cinq jours. Élaborées et diffusées quotidiennement, leur visibilité a été nettement accrue depuis 2016, via la création d’une carte de suivi du risque de cyclogenèse, produit graphique disponible sur les sites internet de Météo-France.
D’autres évolutions plus récentes sont venues enrichir la production du CMRS (telle que l’introduction, fin 2020, de prévisions statistico-dynamiques des extensions de vents autour des phénomènes cycloniques – donnant une information pertinente sur l’évolution prévue de la zone d’influence des vents forts associés aux phénomènes). Et le panel de produits diffusés est encore prévu s’accroître, s’attachant désormais à mieux prévoir et décrire les impacts (vents, pluies, houle et submersion marines), i.e. les conséquences que vont générer les phénomènes cycloniques quand ils vont influencer ou affecter les terres habitées du bassin et à rendre plus parlante la communication sur ces impacts, à la fois pour les décideurs, mais aussi pour le Grand public (via, en particulier, la diffusion de "messages clés").

Quelques exemples de productions récentes développées par le CMRS de La Réunion

30 ans de cyclones tropicaux dans le Sud-Ouest de l’océan Indien

Depuis 1993 et sa prise de fonction officielle en tant que CMRS/Cyclones pour la zone du Sud-Ouest de l’océan Indien, le CMRS de La Réunion a eu à gérer plus de 300 tempêtes tropicales et cyclones.
Si l’île de La Réunion elle-même a été plutôt chanceuse au cours de ces trois dernières décennies, bénéficiant de trajectoires clémentes qui lui ont permis d’échapper à une catastrophe majeure,  puisqu’aucun cyclone ne l’a directement frappée depuis le cyclone Colina (en janvier 1993, soit quelques mois avant l’instauration officielle du CMRS), tel n’a pas été le cas pour d’autres territoires de la zone, qui ont eu à faire face, souvent douloureusement, à quelques-uns de ces phénomènes, dont certains ont marqué de leur empreinte l’histoire du bassin.
Cela avait démarré en fanfare, avec la "grande" saison cyclonique 1993-1994 et ses quinze systèmes baptisés, dont dix cyclones (y compris trois ayant atteint le stade de cyclone tropical très intense – un record pour une saison). Une saison de sinistre mémoire pour Madagascar, dont la côte orientale était frappée par quatre cyclones matures, dont le cyclone GERALDA, qui dévastait la ville portuaire de Toamasina (Tamatave).
Plusieurs autres cyclones mémorables ont émaillé les vingt-neuf saisons qui ont suivi depuis, parmi lesquels on peut citer:
    • Les cyclones HUDAH et ELINE en 2000, qui ont tous deux frappé Madagascar, puis le Mozambique, à chaque fois au stade de cyclone, ELINE provoquant une catastrophe majeure au Mozambique;
    • Le cyclone DINA en 2002, qui a durement affecté les îles sœurs de Maurice et de La Réunion, tout en leur épargnant un impact direct dévastateur;
    • Le cyclone MANOU en mai 2003, cyclone le plus tardif d’une saison à toucher un territoire du bassin (Madagascar);
    • Le cyclone très intense GAFILO en 2004, qui a durement frappé Madagascar au stade de cyclone tropical très intense, un "monstre", exceptionnel de par son intensité et la taille de sa circulation dépressionnaire;
    • Tout comme le géant GAMEDE en 2007, cyclone de grande dimension qui a maintenu sous son emprise La Réunion plus de cinq jours durant, y déversant des pluies pharamineuses dans l’intérieur de l’île, qui ont établi à cette occasion de nouveaux records mondiaux de précipitations;
    • Le cyclone très intense HELLEN en 2014, cyclone le plus intense répertorié dans le Canal de Mozambique et au cycle de vie hallucinant, avec un "up & down" d’intensité sans précédent;
    • Le cyclone FANTALA de 2016, second cyclone (après GAFILO) référencé à ce jour ayant frappé un territoire du bassin au stade de cyclone très intense (l’atoll seychellois de Farquhar en l’occurrence) et dont la trajectoire abracadabrantesque défie l’imagination;
    • La saison record 2018-2019 et ses onze cyclones, dont dix classés intenses, y compris deux (IDAI et KENNETH) qui ont atterri à ce stade sur la côte mozambicaine (une première de mémoire d’homme), IDAI provoquant la pire catastrophe naturelle qu’ait connue l’Afrique australe depuis le début du siècle.
    • Et tout récemment, en 2023, le cyclone FREDDY, à la longévité extra-ordinaire (établissant potentiellement un nouveau record mondial) ou le cyclone FABIEN en mai, le cyclone tropical intense le plus tardif référencé dans notre bassin et le cyclone tropical le plus proche de l’équateur jamais observé dans le Sud-Ouest de l’océan Indien.

Hormis ces cyclones mémorables, le CMRS de La Réunion a, en trois décennies d’existence, connu de nombreux temps forts, mais il en est un tout à fait unique que l’on se doit de mentionner. En novembre 2010, La Réunion a accueilli, dans un hôtel de la côte ouest de l’île, la 7ème édition de l’IWTC (International Workshop on Tropical Cyclones). Organisé pour sa partie logistique par le CMRS et  cofinancé par Météo-France et l’Organisation Météorologique Mondiale, la conférence a réuni quelque 120 participants, chercheurs et prévisionnistes issus de 40 pays. C’était la première fois que cet événement quadriennal majeur se tenait dans l’océan Indien et c’est aussi, à ce jour, la seule fois qu’il a été accueilli et organisé par un CMRS.