cyclone Le cyclone tropical très intense Freddy à son maximum d'intensité au Nord de Rodrigues

Meteo-France

Bilan de la saison cyclonique 2022-2023

06/06/2023

La saison cyclonique 2022-2023 dans le Sud-Ouest de l’océan Indien a été plus active que la normale. 9 tempêtes ou cyclones se sont développés cette année pour une normale à 10 dont 6 sont devenus des cyclones tropicaux (normale à 5). Si le nombre de phénomènes cycloniques observé a été proche de la climatologie, l’intensité conséquente et durable des phénomènes les plus intenses, a contribué à tirer vers le haut le niveau d’activité de la saison. Fort heureusement l’essentiel des systèmes a évolué loin en mer sur l’Est du bassin. 2 systèmes ont toutefois impacté significativement les terres habitées : Cheneso sur Madagascar au mois de janvier mais surtout Freddy en février/mars, qui a concerné à plusieurs reprises Madagascar et le Mozambique. Ce cyclone apparaît d’ailleurs comme LE phénomène majeur et marquant de cette saison. Sa trajectoire inhabituelle (traversée de l’océan Indien d’Est en Ouest suivie de 3 traversées du canal du Mozambique), son intensité maximale atteinte (cyclone tropical très intense, la catégorie maximale de notre classification), sa longévité exceptionnelle (38 jours entre les prémices au Nord-Ouest de l’Australie et la dissipation sur l’Afrique australe) et hélas son impact dramatique au Mozambique et au Malawi, font que ce système restera dans les annales régionales et mondiales de l’histoire des cyclones tropicaux.

Les faits marquants

Trajectoires 2022-2023

NB: Il s'agit des best-tracks (trajectoire retravaillée avec toutes les données disponibles pour estimer au mieux la position, l'intensité et la structure des systèmes) non finalisées. Le travail de réanalyse se fera sur les prochains mois.

 

Un début très précoce de l’activité perturbée

A l’inverse de la saison précédente (démarrage exceptionnellement tardif durant la dernière décade du mois de janvier), une activité perturbée se reinstalle précocement sur le Nord-Est du bassin dès la fin août. Après 3 tentatives avortées, un minimum dépressionnaire parvient à se creuser en tempête tropicale modérée (Ashley) dans la nuit du 26 au 27 septembre. Fait remarquable, cette cyclogenèse précoce n’est pas isolée puisque une semaine plus tard, le 03 octobre, apparaît un nouveau minimum dans le même secteur d’origine de Ashley. Il évoluera le 08 octobre et pour moins de 24h en tempête tropicale (Balita).

90 % de l’activité de la saison en 3 mois

Malgré ce début très précoce, une longue pause de plus de 2 mois s’installe dans le bassin à la fin de l’épisode Balita. L’arrivée du cyclone tropical Darian dans notre bassin depuis la zone australienne le 21 décembre, signe le début d’une activité perturbée plus régulière qui s’arrêtera moins de 3 mois plus tard, à la mi-mars, avec la dissipation de Freddy sur le continent africain. Durant cet intervalle, 5 phénomènes cycloniques se sont succédé. C’est certes beaucoup moins que le rythme frénétique observé durant le pic d’activité de la saison précédente (9 tempêtes et cyclones en l’espace d’un mois et demi !), mais cette année les systèmes générés ont non seulement au moins atteint le stade de cyclone tropical, mais 2 d’entre eux (Darian et Freddy) ont pu rester à un stade mature (cyclone ou plus) pendant des durées remarquables voire exceptionnelles (6.5 jours pour Darian et 10.5 jours en cumulés pour Freddy et uniquement pour sa phase de vie sur notre bassin, un record sur le bassin lors de ses 40 dernières années).

Cheneso à Madagascar, premier impact important de la saison

Cheneso évolue sur la seconde partie du mois de janvier sur le bassin. Après une phase de développement originale (compétition avec un autre minimum formé plus à l'Ouest), Cheneso devient une tempête tropicale le 18 janvier puis touche le région Nord-Est de Madagascar le lendemain à proximité de la ville de Antalaha. Cheneso va ensuite prendre plus de 4 jours pour traverser la grande île avant d'émerger très affaibli dans le canal du Mozambique le 23 janvier. Cette longue traversée engendre un épisode de temps très perturbé sur le Nord-Ouest de Madagascar dans l'alimentation du flux de mousson mais aussi sur la région Sud-Est dans le flux d'alizé. Du 24 au 25 janvier, Cheneso s'intensifie et devient un cyclone tropical sur le canal du Mozambique mais évolue très lentement jusqu'au 26 janvier à proximité de la côte Ouest de Madagascar avant de s'évacuer plus franchement vers le Sud à partir du 27. L'épisode perturbé aura au final duré environ une semaine sur les régions les plus touchées de la grande île. 33 morts et 90 000 sinistrés sont à déplorer dans un pays qui rappelons le, avait déjà été très durement frappé la saison précédente avec un nombre record d'impacts directs (6 dont 5 sur la côte Est !).

Le cyclone Cheneso provoque un déluge sur l'Ouest de Madagascar. En cette fin de nuit du 25 au 26 janvier, cela fait presque une semaine que la région Nord-Ouest subit des fortes pluies.

Le cyclone tropical Freddy : exceptionnel mais tragique...

Ce système évolue du 04 février au 14 mars sur le Sud de l’océan Indien avec une trajectoire essentiellement zonale. Sa durée de vie (38 jours), la distance parcourue (environ 13 350 km) mais également l’énergie cyclonique accumulée, constituent de nouveaux records pour le bassin mais également potentiellement au niveau mondial (évaluation des records du monde associés à Freddy toujours en cours). Pour dire à quel point ce cyclone est unique : l’énergie cyclonique accumulée durant toute sa durée de vie est proche des valeurs habituellement obtenues pendant toute une saison cyclonique normale sur le Sud-Ouest de l’océan Indien !
2 séquences de vie bien distinctes caractérisent l’évolution de Freddy : la traversée de l’océan Indien de l’Australie au Mozambique entre les 04 et 24 février (déjà un exploit en soi puisqu’il n’y a qu’un précédent depuis le début de l’ère satellitaire, le cyclone Leon-Eline en février 2000 !) puis une évolution rocambolesque sur le Sud du Canal du Mozambique entre le 02 et le 14 mars après 6 jours passés sur terre entre le Mozambique et le Zimbabwe ! Au final, Freddy aura impacté par 2 fois Madagascar et par 2 fois le Mozambique (proche du record détenu par Félicie en 1971 avec 5 impacts). Pertes en vie humaine et nombreux dégâts matériels sont reportés dans les zones directement affectées par Freddy. A Madagascar, déjà fragilisé par Cheneso, le bilan est de 190 000 sinistrés et de 17 morts. Au Mozambique, qui était aussi fragilisé par des inondations survenues avant Freddy, le bilan final fait état de 1 200 000 sinistrés et de 183 morts. Mais c'est au Malawi que le bilan humain est effroyable (~700 morts et plus de 500 disparus, un peu plus de 500 000 personnes sinistrés). Les pluies torrentielles amenées par Freddy dans sa phase de dégénérescence sur terre y ont provoqué des inondations éclairs et des glissements de terrains meurtriers. Freddy devient le second cyclone tropical le plus meurtrier sur le Sud-Ouest de l'océan Indien derrière le cyclone Idai en mars 2019 qui avait affecté le Mozambique, le Zimbabwe et le Malawi.

Image du satellite NOAA 19 à 20h26 heure locale Réunion (19h26 à Mayotte) du cyclone tropical très intense Freddy à son maximum d'intensité. Les rafales sont estimées à plus de 310 km/h autour de l'oeil qui apparaît parfaitement défini.

Une fin de saison tardive avec encore quelques records

L’épisode Freddy terminé, les conditions favorables à la formation des phénomènes cycloniques vont brusquement s’effacer sur le bassin (mis à part pour l’épi-phénomène du système n°09 qui a atteint très temporairement le stade de tempête tropicale durant 12h le 27 mars), aboutissant à un mois d’avril blanc. Si d’aucuns auraient pu penser à la fin de la saison cyclonique, une activité perturbée suspecte parvient à se reinstaller sur le bassin durant la seconde décade de mai, soit environ 2 mois après la fin de vie de Freddy. La tempête Fabien se développe le 14 mai sur le centre du bassin puis devient cyclone intense en soirée du 16 avant de s’affaiblir plus ou moins graduellement par la suite. Fabien est le cyclone intense le plus tardif observé sur le bassin (l’ancien record était détenu par Lila le 10 mai 1986) et le cyclone à s’être développé le plus au Nord à environ 600 km au Sud de l’équateur (ancien record détenu par Bento en novembre 2004). A son maximum d'intensité, Fabien était d'ailleurs localisé à moins de 300 km à l'Est de Diego-Garcia (île principale de l'archipel des Chagos). Fabien est aussi le phénomène ayant eu la durée de vie la plus longue au stade de tempête tropicale pour un mois de mai (devant Manou en 2003). Ce dernier épisode, qu’on peut qualifier d’exceptionnel pour la période de l’année, permet à cette saison de s'insérer dans le top 10 des saisons les plus actives de ces 40 dernières années en termes d’énergie cyclonique accumulée ou de nombre de jours cumulés tempêtes/cyclones.

Evolution au fil de la saison de l'énergie cyclonique accumulée totale (courbe noire)

Retour sur les prévisions saisonnières d’activité cyclonique

Fin octobre 2022, nous annoncions que la saison cyclonique 2022-2023 allait probablement connaître une activité inférieure à la normale avec 6 à 10 systèmes atteignant au moins le stade de tempête dont 4 à 5 deviendraient des cyclones. Cette perspective s’appuyait sur le maintien d’un épisode La Nina dans le Pacifique pour une bonne partie de la saison et du développement d’un épisode positif du Dipôle Subtropical de l’Océan Indien, combinaison historiquement plutôt défavorable à l’activité cyclonique.
Cette prévision fût seulement partiellement vérifiée. Si on reste dans la fourchette (haute) pour la prévision du nombre de systèmes (9 systèmes atteignant au moins le stade de tempête finalement observés), la prévision a nettement sous estimé l’activité globale de la saison et le nombre de cyclones tropicaux (6 au final). Pour autant, ce « loupé » n’a pas remis en cause la justesse d’autres caractéristiques plus qualitatives de la prévision : une temporalité en 2 temps de la saison avec une première partie où l’activité serait située plutôt loin à l’Est des terres habitées puis un renforcement de l’activité cyclonique à proximité des terres habitées à partir de janvier (régions du Canal du Mozambique et Est de Madagascar principalement). Avec des trajectoires zonales à paraboliques privilégiées typiques de La Nina, un risque d’impact plus important que la normale avait été anticipé pour Madagascar (aussi bien côtes Ouest que Est) et le Mozambique. Sur cet aspect, la prévision fût tout à fait pertinente, puisque les menaces sur les terres habitées se sont toutes produites entre la mi-janvier et la mi-mars. Au final, l'activité cyclonique se sera concentré, comme anticipé autour de deux pôles: un majoritaire à l'Est du bassin omni-présent durant toute la saison et un autre secondaire sur le Sud du Canal du Mozambique se mettant en place sur la seconde partie de saison.

Comparaison entre les prévisions d'évolution de l'activité cyclonique sur le bassin, tel qu'envisagé fin octobre, avec ce qui s'est vraiment passé.

Quelle influence sur La Réunion ?

Comme l’année précédente, La Réunion n’a pas connu l’impact direct du cœur d’un phénomène cyclonique. L’île sera restée en marge des 2 systèmes qui ont impacté les terres habitées.
Lors du passage de Cheneso loin au Nord-Ouest de La Réunion, des bandes périphériques lointaines engendrent quelques fortes pluies orageuses non durables en fin de nuit du 18 au 19 janvier.
Entre le 17 et le 20 février, Freddy aura constitué une menace potentielle importante pour La Réunion au regard de l’intensité du système lors de son approche des Mascareignes (Freddy est à son apogée 24h avant le passage au plus près de La Réunion). Une bonne prévisibilité sur la trajectoire et la structure du système aura permis d’éviter le déclenchement de l’alerte rouge. Freddy passe finalement à environ 190 km au large de la route du littoral. Les vents ont été temporairement forts (100-110 km/h dans les bas, 110-120 km/h dans les hauts avec localement plus en haute altitude) mais les précipitations enregistrées sont restées bien en-dessous des standards d’un épisode cyclonique (peu ou pas de pluie dans les bas, 150-200 mm dans les cirques et sur le volcan). Freddy est pourtant passé à la même distance que Batsirai (190 km dans le même secteur Nord). Un bon cas illustrant que ce n’est pas uniquement la distance au plus près qui détermine l’impact sur un territoire. L’influence de Freddy a été moindre que Batsirai car Freddy était un cyclone puissant mais très compact. Les vents et les fortes pluies étaient bien atténués dès qu’on se trouvait à plus de 120 km du centre. De plus, le cyclone se déplaçant alors très rapidement, les conditions dégradées ont duré peu de temps. La houle cyclonique a finalement été l’élément le plus remarquable du passage de Freddy avec des vagues qui en moyenne ont atteint les 6m (près de 10 m pour les vagues les plus hautes) causant quelques submersions et de l’érosion côtière sur les côtes Nord et Est.
L’été austral aura donc été chiche en pluie sur l’île avec un déficit important notamment sur la région Sud et dans l’intérieur de l’île (moitié moins d’eau tombé environ).

Freddy vu par satellite, les radars de La Réunion et les vents Ascat du satellite européen Metop dans la nuit du 20 au 21 février lors de son passage au plus près de La Réunion.

Et Mayotte ?

Aucun phénomène n’a nécessité de déclencher le système d’alerte cyclonique à Mayotte qui est resté à l’abri durant la saison 2022-2023. On peut toutefois signaler que Mayotte a été influencé indirectement par la présence de Cheneso sur Madagascar puis sur le centre du Canal, entre les 21 et 26 janvier. Un flux de mousson rapide et actif, conjugué à un important niveau marin, a engendré un épisode assez durable de temps perturbé, ponctué par des vents forts lors du passage des lignes de grains les plus actives (rafales à plus de 100 km/h enregistrées) et des submersions marines avec de l’érosion côtière sur les zones exposées.
Cet épisode sera insuffisant pour inverser une tendance sèche installée depuis septembre 2022 à Mayotte et que le manque d’eau durant cette saison des pluies n’a pas permis d’inverser.